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REVUE DE PRESSE de MesMotsCourts culin@ires
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19 novembre 2008

Une langue bien aiguisée : le louchébem

canard_encha_n_

Voyage dans les microlangues                           

Bardé de qualités, mais un peu abattu : tel est aujourd’hui le largonji des louchébems ou « jargon des bouchers ». Une langue salée, aux expressions tranchées, mais pas tendre et difficile à saisir maintenant qu’elle n’est plus ensaignée.

SOROSORO : en langue araki, laquelle n’est plus parlée que de huit per­sonnes au Vanuatu, ce mot veut dire souffle, parole, langue et c’est symboliquement qu’il a été choisi par la Fondation Chi­rac pour baptiser son pro­gramme de sauvegarde et de re­vitalisation des langues en danger. Parmi les quelque six mille idiomes aujourd’hui pra­tiqués à travers l’humanité, beaucoup sont en effet menacés d’extinction. Pas seulement dans les archipels mélanésiens : en France même, le louchébem se meurt. Il compte encore cinq à sept mille locu­teurs, de vieux bouchers pour la plupart à la re­traite, qui n’ont plus guère l’occa­sion de s’en payer une tranche.

     A l’origine était le largonji, un des langages à clés de la petite pègre parisienne. Alors que l’argot a son vocabulaire propre, le lar­gonji consiste à se rendre in­compréhensible en déformant les mots français selon une règle immuable : remplacer la consonne initiale par un l, la re­jeter en fin de mot et la com­pléter par un suffixe. Ainsi, « jar­gon » . devient « largonji »  et boucher « louchébem ».

Les « Mémoires » publiés sous la signature de Vidocq nous ap­prennent que, sous la Restau­ration, les voyous appelaient « Lorcefé » la prison de La Force, où pouvait les conduire le vol d’un « larfeuiile » (un « feuillard »,, c’est-à-dire un porte­feuille) s’ils n’opéraient pas en « loucedé » (en douce) dans un « loinqué » (coin). Autant de termes qui auront la vie dure dans le langage populaire, mal­gré la fortune d’autres cryptages comme le cadogan, le javanais ou le verlan. Traduction de “fou » en largonji. Le mot « loufoque » est, quant à lui, entré dans le dictionnaire.

Inaugurés en 1867, les abat­toirs de la Villette vont donner une seconde chance au largonji : les mauvais garçons recrutés dans le quartier pour le métier ingrat de tueur vont apprendre leur mystérieux langage aux ap­prentis bouchers venus de toutes les provinces, qui le diffuseront en­suite en retour­nant s’établir au pays. « Les abattoirs de la Vil­lette, c’était l’Académie française du louchébem », résume David Alliot, qui prépare un ouvrage sur le sujet (« Larpez-vous lou­chébem ? »,, à paraître en 2009 chez Horay). Spécialiste de Cé­line et de Césaire, ce fils de bou­cher est sensible à la poésie étrange de ce parler mal connu. Les études sur le louchébem, très rares, datent pour la plu­part des années 1900, quand Marcel Schwob se passionnait pour le monde des garçons bou­chers au point d’appeler « Lottequem »  son amie Colette. In­terrogeant les vieux bouchers qu’il a pu retrouver. David Al­liot a établi un dictionnaire savoureux.

A première vue, tous les mots devraient commencer par la lettre 1. Mais c’est plus compli­qué. « L’argot des bouchers offre l’étrange particularité d mélanger deux formes de langage explique son lexicographe. Le premier est un jargon profes­sionnel foisonnant, dans lequel un « asticot » est un apprenti vif et remuant, une « belle-mère » une scie et le « pache » un tau­reau (par altération de pacha, qui règne sur un harem). Le se­cond est le louchébem propre­ment dit, comprenant une riche gamme de suffixes en -i, -é, -ès, -em, -as, -ic. -oque, -atte, -qué, -quème, -uche ou –puche. « Les suffixes sont au choix, c’est uniquement en fonction de l’af­finité avec la langue. Par exemple. pour dire « cher », mon père dit lerchem, ma mère dit lerchoque… ». De même, « pa­tron » se dit indifféremment « la­tronpem, latronpatte ou la­tronpuche ». Une femme est une lamfé, mais aussi une « lemme­fuche » ou une « lemmefoque » :là où le verlan ne connaît qu’une forme, « meuf », le louchébem en compte au moins trois, et rien n’interdit d’en forger d’autres. « Le louchébem est plutôt empi­rique et ne marche qu’à la so­norité. En général, si la première lettre ne plaît pas ou ne sonne pas bien, on prend la syllabe. Exemple prix. Si on devait ap­pliquer la règle, on devrait écrire “lripem”. Mais comme le lou­chébem est exclusivement oral, on dit liprem. ». Quant aux mots qui commencent déjà par 1, on leur applique la règle – « les longes » deviennent les « longeluques » - ou bien on se contente de leur donner un suf­fixe : « le lingue » (couteau) se dit alors « linguem ».

Autre force du louchébem, il peut s’appliquer aussi bien au bon français qu’à des termes argotiques qui se trouvent ainsi doublement codés. Les « loulépems », ce sont les poulets, mais pas seulement ceux du vo­lailler... Un « laféquesse », c’est un café, mais on dira aussi un « loirnoque » : un noir. De même, on boira un « louqué de louge­roque » avant d’aller « lissépem (un coup de rouge avant d’aller pisser).

Enfin, le louchébem a la par­ticularité d’allonger les mots les plus simples : « louivème » pour « oui », « loimique » pour « moi », « luctrème » pour » truc », ce qui achève de le rendre hermétique aux non-initiés. Parlé vite, com­pliqué à dessein par des vo­cables à double sens, il est passé rapidement des abattoirs à la boucherie de détail, parce qu’il permettait de communiquer sans être compris de la clien­tèle, Ce qui autorisait quelques arrangements avec la morale. On laisse toujours un peu de « lagrem » (gras) au « lonqué » (un con, un client désagréable), on vend du hotu (viande de mau­vaise qualité) à la « loirpem » (la poire, un ahuri), mais on est « lonbem » (bon) avec la « louet­techem » : une chouette cliente, à ne surtout pas confondre avec une  « crevette », qui est au contraire un client grincheux.

La belle inventivité du lou­chébem ne pouvait que séduire Raymond Queneau, qui, en 1947, l’employa pour un de ses « Exercices de style » : « Un lour­jingue vers lidimège sur la late­formeplic d’un lobustotem, je gaffe un lypétinge avec un long loukem et un lapeauchard en­touré d’un lalongiff au lieu d’un lubanroque,… » Mais le louché­bem entre chez Gallimard au moment où il commence à dé­cliner sur les étals. Les abat­toirs font de plus en plus appel à une main-d’oeuvre immigrée qui a son propre sabir. En 1974, dans un fracas de scandale, ceux de la Villette ferment définiti­vement leurs portes. Bientôt la grande distribution hache menu les bouchers indépendants, qui perdent peu à peu leur folklore.

Il n’en subsiste pas moins un langage succulent qu’il serait dommage de laisser dépérir an cette année 2008, que les Na­tions unies ont décrétée « Année internationale des langues ».

Par sa souplesse et son obscu­rité, le louchébem peut rendre bien des services dans les sphères officielles. Par exemple, pour accueillir le dalaï-lama sans froisser les autorités chi­noises : « Lienvenuebem dans la batriepem de loidroques de l’hommeluche. » Ou pour évo­quer la situation économique sans affoler les milieux d’af­faires : . « Le lonseilcoque des linistremès lonstatecatte que la Lancefrem est en lécessionric, c’est la lerdemuche ! » Mieux que la bangue de bois, l’argot des bouchers : aucun risque de se viander.

                                                                    Professeur Anatra

Petit lexique louchébem

louc

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